Deuxième article de notre série de portrait sur les ancien.ne.s étudiant.e.s du Satis. Après être monté à la capitale pour travailler comme assistant-caméra, Timothée Raymond (2010-2013) a saisi l’opportunité de fonder avec son frère un studio de mixage et prise de vue.

Bonjour Timothée, en quelle année es-tu sorti du SATIS ? Quelle option as-tu choisie ?

Bonjour Clément, je suis sorti de l’école en 2013, j’avais commencé en montage, en première année, ensuite j’ai basculé en prise de vue en Master 1. La prise de vue m’a toujours intéressé, et au fur et à mesure de mes stages, j’ai demandé à changer d’option.

Où avais-tu étudié avant le SATIS ?

Timothée lors d’une session photo dans son studio

J’ai suivi une Licence d’Info Com spécialité Image, à Nice. C’était une formation pluridisciplinaire, mais j’avais des doutes sur les débouchés. Au final, c’est un bagage très intéressant et diversifié : histoire de l’art, histoire du cinéma, réflexions sur les médias, logiciels de communication, architecture et design, etc. Beaucoup de ces enseignements me servent encore aujourd’hui.

Ensuite, tu es « monté » à Paris, comme on dit…

Au sortir du Satis je voulais monter à Paris à la fois pour des raisons personnelles et professionnelles. J’y avais fait mes stages, et dans l’imaginaire collectif, c’était à Paris que les choses se passaient.
Mon plan de carrière, c’était devenir assistant-opérateur. À mes débuts j’avais participé à de nombreux courts métrages, surtout des films de fin d’études de la Fémis et de Louis Lumière, et j’ai beaucoup aimé travailler sur ces projets, car on était en contact direct avec la création. Et puis ça m’a permis de rencontrer des gens qui m’ont rappelé pour des projets plus tard.
J’ai fait des stages chez les plus gros loueurs de matériels : TSF, RVZ, Panavision, etc. Je voulais apprendre le matériel et les caméras.
Le parcours commun c’est : les stages, rencontrer des équipes caméras, parvenir à en intégrer une, puis gravir les échelons. Mais personnellement, je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui m’a pris sous son aile, qui m’a paru sincère et ouvert dans sa démarche. Certains camarades y sont parvenus, et j’ai moi-même participé à des tournages de publicité et autres. Mais je n’étais pas très à l’aise avec ces opérations séduction, la nécessité de « se vendre »… C’est un milieu très hiérarchisé (comme l’est le cinéma français) il faut se soumettre à cette organisation, jouer à ce jeu-là, et j’ai toujours eu du mal avec ces pratiques. J’ai fait un choix en préférant prendre une voie autonome et plus libre.

C’est à ce moment-là, il y a environ cinq ans, que tu fondes avec ton frère le Studio Durango.

Dès mes études au Satis, et notamment grâce à l’intervention du chef opérateur Jean Louis Vialard qui nous avait raconté avoir monté un studio avec des amis, j’ai eu le désir de créer ma propre entreprise. Avoir son lieu, monter un collectif (à la manière de Kourtrajmé) : ces idées me plaisaient.
Mon frère, Romain Clisson, est ingénieur du son en musique et a toujours travaillé en studio, contrairement à moi. En 2014, le studio avec qui il travaillait a fermé. Il a donc décidé de monter le sien et, comme nous avions déjà évoqué la possibilité de travailler ensemble, nous avons saisi l’opportunité.

Pourquoi vous êtes-vous installé au Pré-Saint-Gervais ?

Les prix des loyers à Paris sont extrêmement élevés alors nous nous sommes tournés vers la banlieue proche et on a eu une super opportunité au Pré-Saint-Gervais : un ancien studio d’enregistrement, avec de beaux volumes et différents espaces. On s’est battu pour l’avoir, pour obtenir des prêts, le bail commercial, etc. Par contre, les locaux étaient dans un état lamentable, on a dû mettre les mains dans le cambouis et faire de gros travaux, surtout qu’il y avait deux studios « son », mais pas de studio vidéo. J’ai dessiné le plan de mon studio de prise de vue, construit un cyclorama en ciment, pensé l’implantation lumière, installé le grill, et monté une mezzanine pour avoir une partie postproduction en optimisant la surface au sol. Le studio de prise de vue fait maintenant 40 m2 et possède un cyclo en dur sur trois faces.
Nous avons lancé le projet mon frère et moi, puis un ami de ma promotion, Benoît Seiller, m’a accompagné quelque temps sur le projet : on a pu réfléchir ensemble à la partie vidéo, il m’a aidé dans les travaux, la communication, l’administratif, etc. Et un collègue de mon frère nous a accompagnés aussi pour la partie « son ». Aujourd’hui ils ont chacun pris leur voie et ont quitté le projet, mais c’était rassurant d’avoir de l’aide au début.

Le cyclorama de Durango Studio
Le studio son

Quelles sont tes activités ?

Du fait de la partie musicale, je travaille beaucoup pour des musiciens et des maisons de disques. J’ai eu l’idée de proposer clé en main des réalisations de clips et vidéo promotionnelles spécialisée pour l’industrie de la musique. Je réalise des clips, des captations d’enregistrement et des EPK (NDLR : Electronic Press Kit). Les EPK sont des kits de promotion numérique, sorte de petit reportage où l’on voit l’artiste au travail. Souvent, les artistes sont contents de pouvoir créer au même endroit leur album et les vidéos qui l’accompagnent. L’objet principal étant l’album, la création vidéo vient après.
Je trouve très intéressant de mettre en image la musique, de créer l’identité visuelle d’un artiste. C’est plus simple quand l’artiste arrive avec son bagage, ses références et ses envies. On peut travailler plus précisément et efficacement. Et puis comme je ne suis pas directeur artistique et que la plupart du temps je travaille seul, je peux vite être limité. Je loue aussi le studio de prise de vue, là je rencontre des équipes déjà constituées et j’apprécie beaucoup ces moments-là, car il se crée souvent de bonnes relations de travail.
En ce qui concerne les prestations extérieures, on m’appelle principalement en tant qu’opérateur prise de vue, il m’arrive également de réaliser des films institutionnels ou des reportages photo. 

Comment se partage ton activité entre prises de vue au studio, post production et contrats extérieurs ?

Je suis énormément investi dans le développement du studio, ça doit représenter 75 % de mon activité, en incluant les clips, la postproduction et la location du studio. Comme je le disais précédemment, je travaille souvent seul, c’est un avantage et un inconvénient. Je me considère moins efficace qu’un monteur donc la postproduction va être ce qui me prend le plus de temps, mais comme je suis aussi celui qui filme, je vais pouvoir anticiper dès le tournage ce que je vais monter, et bien entendu cela me donne une liberté dans la direction que va prendre le projet fini. Ce n’était pas évident au début, mais au fur et à mesure des projets j’ai pris de l’assurance et réussi à affirmer « ma marque de fabrique ».
Pour les projets avec plus de budgets j’engage généralement des gens : pour les clips, quasiment toujours des maquilleurs/euses et coiffeurs/euses, et quand cela le permet des décorateurs/euses ou des renforts à la prise de vue et éclairage. La réalité de mon secteur ne me donne pas toujours le budget pour réunir une équipe diversifiée, mais il n’en reste pas moins que d’avoir une équipe au complet est forcément un avantage. Ce n’est pas pour rien si les gens se spécialisent…
Je filme aussi dans la partie studio d’enregistrement son lors de sessions live ou vidéo pour EPK.
À l’extérieur, c’est des prestations en tant que cadreur (vidéo comme photo) sur des événements, des films institutionnels, etc. J’ai un boitier DSLR portable pour les reportages et également une Sony FS7 pour proposer un style d’image plus poussé avec enregistrement en SLog et enregistreur externe afin de pouvoir bien travailler l’image en postproduction.

Quelle est la part du travail administratif ?

C’est surtout à la création de l’entreprise qu’il y a le plus de démarches administratives.
Au début c’est compliqué, on a l’impression de s’attaquer à une montagne ! Mais on apprend sur le tas. Il faut prendre les choses au fur et à mesure, être organisé et rigoureux… et avec le temps on prend l’habitude. Au final, ce n’est pas très chronophage. Par contre, il y a plus de responsabilités. On a des résidents qui louent des espaces de travail donc il faut aussi s’occuper de la sécurité, des normes, de l’entretien, etc. C’est différent que d’être juste employé à un projet et ensuite rentrer chez soi. Je suis au studio huit heures par jour et je prends des vacances quand je peux. Mais il y a la satisfaction de tenir un espace de création, d’avoir en quelque sorte une petite famille artistique, et de favoriser des rencontres et des échanges.

Comment trouves-tu des contrats ? 

Je fonctionne beaucoup par le bouche-à-oreille et les recommandations. Bien sûr, on a notre site web et nos réseaux sociaux, mais je trouve qu’on n’est pas assez présent… Que ce soit mon frère ou moi, on n’a pas trop cette fibre-là donc on fonctionne essentiellement sur le relationnel et sur l’attrait du lieu : il y a du passage, des résidents, des gens qui vont et viennent, et ça crée une émulation.
De nos jours, la musique se consomme aussi par l’image donc les artistes qui viennent enregistrer leur album ici, sont agréablement surpris de voir qu’ils ont aussi la possibilité d’y réaliser leurs vidéos, et qui plus est avec la même équipe et de manière transversale : je peux directement échanger avec mon frère, mieux appréhender leur demande, leur univers, il m’indique leurs intentions musicales, etc. Je pense que c’est un point fort et rassurant pour les artistes.

Le matériel évolue très vite dans nos métiers. Comment prévois-tu ces investissements ? À quelle fréquence faut-il changer de caméra par exemple ?

J’ai acheté ma Sony FS7 en 2015, en pensant la garder 10 ans. Mais en fait, je pense déjà à en changer… À la différence de la partie musique, où certains micros ou instruments peuvent prendre de la valeur et être recherchés pour leur couleur musicale vintage, nous en prise de vue, on filme avec des ordinateurs en fait… Donc au bout d’un moment, c’est obsolète. J’ai quand même un jeu d’optiques fixes Nikkor, qui n’est pas très performant pour les standards d’aujourd’hui mais que j’utilise pour une esthétique plus chaleureuse, notamment pour les peaux. 

Après tes stages, tu as travaillé dans la mode, mais qu’y faisais-tu ?

J’ai eu la chance de travailler pour Walter Films, une société de production vidéo qui s’occupait, entre autres, de l’image de CHANEL. J’étais cadreur et j’ai beaucoup appris. C’était mon premier job à Paris, c’était exigeant dans l’esthétique et dans l’efficacité. On me passait un 5D (NDLR : Canon 5D Mark II) pour être plus discret et réactif, et je devais couvrir des événements de la mode (défilés, soirées, ouverture de magasins, etc.) avec pour objectif de filmer les stars tout en gardant une grande qualité d’image. Il fallait du mouvement, et les consignes étaient : « il faut que ce soit beau et montable ! » On avait notre feuille de route avec les personnes à filmer et on devait être réactif, parce qu’il faut savoir qu’en réalité, un défilé de mode ça ne dure pas plus de 15 minutes… C’est très formateur. Je débarquais à Paris et j’étais propulsé dans ce monde étrange de la mode, dans ses événements VIP et ses lieux insolites… J’ai pu faire des missions à l’étranger aussi, en Angleterre, à Milan, en Corée du Sud.

Quelles sont les perspectives pour 2021 ?

On ne s’en est pas trop mal sorti en 2020, il y a eu des périodes creuses, mais aussi de beaux projets donc on reste sur le qui-vive pour 2021 et on se demande comment ça va se passer… Est-ce qu’on va subir les effets de l’arrêt de l’industrie musicale à contre temps ?
J’ai beaucoup de demandes pour de la diffusion en streaming donc je suis en train de développer cette offre. J’ai déjà filmé au studio des émissions diffusées en direct sur des plateformes de vidéo, dont une avec Frédéric Taddei en décembre dernier par exemple. 
Les clients cherchent à produire des événements diffusés en direct puisqu’ils ne peuvent plus organiser d’événements en faisant venir des gens. Tout ça demande l’achat de matériel spécifique et une bonne connexion internet. Il faut savoir se réinventer et s’adapter, d’autant plus que dans mon réseau musical et dans l’art, de manière plus globale, la question du streaming se pose de plus en plus sérieusement.

Le journaliste Frédéric Taddei devant le cyclo en mode “fond vert”

Qu’est ce que tu conseillerais à un(e) jeune satisien (ne) souhaitant monter sa société ?

Il faut dessiner son projet en amont, essayer de cibler les secteurs d’activités et ce qu’on va proposer aux gens. Ce n’est pas évident au début donc l’autre conseil que je donnerai c’est de le faire à plusieurs. Parce que le cinéma c’est collectif, et à mon avis, quand on a un lieu il doit servir de maison de création, de lieu de rendez-vous qui héberge des idées. Il faut aimer son lieu et en faire un espace de rencontres.
Il faut comprendre aussi que ça prend beaucoup de temps. En montant Durango, j’ai dû abandonner une partie de mon plan de carrière, à savoir-être assistant-opérateur. Je me suis rendu compte que je ne pouvais pas développer mon activité et en même temps, continuer à faire des longs métrages et développer mon expérience comme premier assistant… Ça n’a pas été facile à accepter, mais j’ai acquis d’autres libertés. J’ai pu mettre mon lieu, mon matériel et mes compétences aux services de causes qui m’importent, aider des personnes et des projets qui me tenaient à cœur, des gens qui sont militants, par exemple en organisant un entretien filmé entre Assa Traoré et Angela Davis, en participant à des vidéos avec Frédéric Lordon, Olivier Besancenot, Bernard Stiegler, Pierre Carles, en me rapprochant du magazine Ballast, etc. 

Est-ce que tu as un souvenir particulier de tes années d’étude au Satis que tu souhaites partager avec nous ?

Déjà, j’aimerais faire une dédicace à Marie-Claude, qui s’occupait de la cantine du Satis. Sinon je dirai les tournages des films de fin d’études, « Asphalte » de Benoît Seiller et « Jo est mort » d’Elsa Rysto. J’ai eu la chance de bosser sur les deux tournages, qui se sont enchaînés à un jour d’intervalle, et c’était des expériences mémorables ! On a tourné dans des lieux improbables, de nuit, en faisant des heures pas possibles, on était tellement enthousiaste qu’on ne sentait pas la fatigue. Ça a été tellement épique que ces expériences nous ont vraiment soudé et ont été de superbes aventures.

Entretien réalisé par Clément Allemand en visioconférence en janvier 2021. Toutes les photos illustrant l’article ont été fournies par Durango Studio.