Le cursus “Musique pour l’image” a été créé en 2009. Pierre Demange a fait parti des premiers diplômés de cette nouvelle branche dans les formations du SATIS. Il nous parle de son parcours professionnel.

En quelle année tu es sorti de Satis et dans quelle section tu étais ?  

Il ne faut pas que je dise de bêtise, mais je crois que c’était en 2012, on était en fait la première promotion de Musique à l’image.  

Quel était ton parcours avant Satis ? 

J’ai fait un BTS audiovisuel métiers du son à Metz dans un lycée public (le LYCOM). En fait, faire de la musique à l’image m’intéressait déjà mais je n’avais pas de parcours de conservatoire et de théorie musicale, j’étais batteur, j’avais un groupe de rock, et faisais pas mal de musiques actuelles. C’était un des avantages de cette nouvelle section musique à l’époque, de ne pas être trop centrée sur le parcours académique musical pour accepter les étudiants. En revanche, j’avais des connaissances en son et ça c’était pratique pour accéder à l’école. Et comme je voulais bifurquer vers la musique, l’ouverture de cette section était vraiment idéale et j’en suis encore satisfait aujourd’hui, bien qu’on ait un peu essuyé les plâtres de la première promo. 

Après Satis, t’as été à Paris, quel était ton projet ?  

Du fait de l’ouverture de la section musique, il n’y avait pas encore de réseau à l’école pour obtenir des stages clés, du coup je n’ai pas tout à fait embrayé sur de la musique à l’image, c’est aussi surtout parce que je me suis rendu compte que je voulais réaliser mon rêve d’enfance et devenir batteur pro. J’ai donc tenté en sortant le concours du Conservatoire Régional de Paris, en batterie Jazz et j’ai été pris. Cela a ensuite pas mal changé ma vie et occupé la totalité de mon temps pendant quelques années, même si j’ai fait quelques plan musique à l’image en parallèle. 

Pierre en pleine action. (Crédit Photo @Eric Delage)

Est-ce que tu peux nous parler plus généralement de ton parcours professionnel  post-Satis ? 

Je pense que j’aurais pu bosser en tant qu’assistant son parce que j’avais été en stage avec un super ingénieur son à Paris après le SATIS et que ça s’était bien passé. Je sentais qu’en une ou deux années de pratique cela aurait pu devenir mon univers. Mais en fait c’est précisément pendant ce stage-là que j’ai compris petit à petit que je n’étais pas du bon côté de la vitre. Ça m’a fait un peu flipper parce que je me disais que c’était trop tard, mais bon je me suis dit « faut y aller » et c’est là que j’ai préparé comme j’ai pu le concours du conservatoire de Paris, et j’ai foncé. 
C’est comme ça, ensuite, que j’ai intégré des groupes de musiques, tout en faisant aussi de la musique de film. Mais c’est délicat pour moi parce qu’avec mes études de musique mon insertion professionnelle a été retardée.  
Concernant la musique à l’image, la quasi-totalité des projets que j’ai fait, c’était avec des gens que j’ai rencontré à SATIS. En fait, je crois que quel que soit la formation, même si c’est dur de le conscientiser, c’est quand même là qu’on fait le départ de notre réseau professionnel, la clé de l’insertion, je crois, est le réseau, et donc beaucoup les stages. 

Quelle est la différence entre ton job de musicien et ton job de compositeur ? 

L’un nourrit l’autre. En musique à l’image, il y a par exemple ces étapes de travail de trouver le tempo d’une séquence, est-ce qu’on va la suivre, est-ce qu’on va aller contre, quand est-ce qu’on utilisera le silence, qu’on créera de l’espace, quelle sera notre place entre les dialogues etc. Il y a peut-être dans tout ça un rapport avec le jazz et les musiques improvisées. C’est une forme d’écho. Les décisions que je prends en tant que musicien sont probablement connectées à mes études de musique à l’image. Ça se nourrit, même inconsciemment. L’improvisation, quelque part, c’est de la composition en temps réel. Peu de compositeurs ne sont pas musiciens, peut-être même aucun.  Après, la pratique sur l’instrument en soi, c’est un peu à part de la composition.  

Tu as notamment composé la musique du documentaire “Voyage au Mont perdu” de Emmanuel Rondeau. Comment tu as travaillé avec le réalisateur ?  

Ce n’était pas notre première collaboration je crois, il connaissait un peu mon travail. Il est venu vers moi avec des références, notamment si je me souviens bien Michael Brook, qui a composé la musique de “Into The Wild”, ou encore Gustavo Santaolalla, qui a composé la musique de “Babel”, “21 grammes”, etc. Il avait une esthétique en tête, j’aimais bien ces références plutôt colorées mais assez juste avec le propos. Une fois le cadre défini, c’était plutôt carte blanche. 
Une fois, il m’a donné ce qu’on appelle un “temp track”, c’est-à-dire une musique dont il s’est servi pour monter, et moi j’ai fait une sorte de pastiche. J’ai repris le tempo, les impacts, et je suis parti de là. Ça, c’est un peu la bête noire des compositeurs. A la fois ça prémâche le travail, mais tu vas vers un plagiat déguisé puisque de toute façon le réalisateur aura du mal de sortir de la musique sur laquelle il a monté pendant des heures et trouvé son équilibre. C’est en fait assez contraignant, et personnellement je ne trouve pas cela très intéressant. Mais bon ça ne m’est pas trop arrivé, c’était souvent des références esthétiques et ensuite carte blanche.  

Visionner “Voyage au Mont Perdu” de Emmanuel Rondeau

Et est-ce que ça t’arrive de composer de la musique pour un film en amont du tournage ?  

Ça m’est déjà arrivé quelques fois. Je l’ai fait pour un documentaire qui s’appelle “Svein-à-Mula” (de Marine Ottogalli), qui a été tourné en Islande.  
On a pas mal discuté du film. Je pense d’ailleurs que c’est ce qu’il faut faire, parler plus du film que de la musique. C’était un conseil de Sylvain Morizet, qu’on avait rencontré en master class à SATIS. Il faut creuser le film avec le réalisateur. Parce que si tu parles de musique, le réalisateur risque d’être en porte à faux parce qu’il n’a pas forcément les termes et il risque de dire des bêtises que toi tu vas prendre comme une trame. Donc, parler du film, du message, des idées, pourquoi tel ou tel choix dans le scénario, écouter si possible les voix des acteurs en amont par exemple, etc. D’où l’importance à mon avis d’une certaine cinéphilie quand on est compositeur pour l’image. Et quand le film n’est pas monté c’est encore plus intéressant. 

Comment tu travailles lorsque tu fais de la musique orchestrale ? De chez toi ?  

La musique de film a énormément évolué. Je pense qu’à l’heure actuelle, c’est très rare d’avoir le budget pour enregistrer un orchestre. Donc, même pour la musique orchestrale, ça se passe souvent derrière un ordi. Moi je fais ça dans ma chambre. Ça m’est arrivé, quand il y avait un peu d’argent et quand la musique le permettait (c’est-à-dire petite formation), d’enregistrer des musiciens. Mais le plus souvent, avec les outils qu’on a aujourd’hui, quelques compétences de programmation suffisent à des maquettes très réalistes qui finissent en fait dans le film. Ça doit être à peu près 90% des productions à l’heure actuelle qui travaillent directement avec les outils informatiques. Donc faut savoir composer, programmer, et mixer. Parce qu’il faut que ce qu’on livre sonne comme un vrai orchestre, en tout cas pour le réa et la prod, pour les musiciens c’est un autre sujet. Donc c’est aussi un avantage d’avoir une relative maîtrise des techniques de production son puisque les frontières avec la composition sont de plus en plus floues. 

Tu joues dans plusieurs groupes de jazz, est-ce que c’est un choix esthétique ?  

C’est un peu la formation au conservatoire qui m’a amené là. Quand je suis sorti de BTS audiovisuel, je faisais du néo métal et j’écoutais aussi Pink Floyd. En étudiant le son, je me suis mis à écouter comment les disques étaient produits. Et je me suis rendu compte que je ne trouvais pas forcément satisfaction dans les musiques que j’écoutais à ce moment-là (métal, rock, etc). Donc j’ai écouté du classique, du jazz, de la World, où je m’y retrouvais plus sur l’aspect sonique, sur les timbres, avec souvent des compressions plus transparentes, un spectre plus agréable et pleins d’autres aspects. Du coup c’est un peu via le son que je suis venu vers les musiques acoustiques. Et via la musique du film aussi, qui a l’avantage de te faire écouter différents styles musicaux. Le jazz, c’est venu surtout parce que je suis batteur, et je crois que quand tu veux approfondir la batterie, tu vas te retrouver à aller vers des musiques qui se rapprochent du jazz, au moins y passer un temps, aller écouter ce qui s’y passe. C’est le jazz qui a créé la batterie, en rapprochant les différents éléments qui étaient utilisés par les marching band, c’est finalement assez logique de finir par s’y intéresser je crois. Après le jazz est un peu comme une obsession, et j’avoue qu’elle m’a un peu gagnée ! 
Mais je ne fais plus que du jazz, je viens quand même de la pop/rock à la base et j’adore y retourner. Je ne me considère pas comme jazzman avec un grand J, comme si j’avais grandi là-dedans. Je ne suis pas du tout élitiste avec ça, je me vois plutôt comme quelqu’un de multitâches. L’année prochaine par exemple je serai dans l’équipe des percussionnistes dans l’orchestre du roi lion au théâtre Mogador. Je suis aussi passionné par les percussions, l’accompagnement de la danse qui est très proche de la musique à l’image, mais en temps réel. Je suis clairement l’enfant des années 90-2000, qui a plein de cordes à son arc, pas forcément pointu sur tout mais suffisamment pour être compétent, et épanoui là-dedans.
Il y aussi une réalité économique qui fait que c’est peut-être bien de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Je suis content parce que j’ai des projets de jazz, de funk, de pop, ça brasse large et j’espère pouvoir garder ça. J’aime bien de ne pas être associé à une “étiquette”.  

Est-ce que dans ces groupes tu composes ou juste interprète ? 

Je n’ai aucun projet en tant que leader, paradoxalement, je me plais bien à servir le propos de mes collègues. C’est aussi une des limites au côté multitâches, c’est super de faire beaucoup de choses, et ce n’est ensuite pas forcément évident de trouver, de choisir sa voie, c’est surement un des éléments qui fait que je n’ai pas encore de projet “personnel”, car je ne suis pas sûr encore de ce que je veux raconter, ni comment, ni avec qui, j’ai trop d’envies ! Mais ça va venir, les choses se placent, c’est une envie qui grandit en tout cas.   

Est-ce que dans ces groupes tu composes ou juste interprète les parties batterie ?  

C’est assez varié, mais globalement il y a peu de gens qui savent écrire pour la batterie. Donc généralement je reçois une ligne de basse et je crée ma propre partie, donc en tant que batteur tu es souvent aussi un peu arrangeur. Il y a un côté création qui est assez chouette. Je teste des trucs, j’enregistre, et on discute avec les autres membres du groupe. On échange : quelle est l’orchestration idéale, quel son veut-on, c’est un travail de collaboration à chaque fois. 
Après quand c’est des orchestres comme Le Roi Lion, là c’est une partition et tu appliques. Donc tu apprends bien les parties, tu arrives, tu joues. C’est très figé, c’est comme ça. La marge d’interprétation est ailleurs, dans le groove, le son que tu donnes, c’est aussi très intéressant. 

Pourquoi la batterie ?  

Je n’en sais rien… (rires) C’est depuis tout petit, apparemment j’ai harcelé mes parents très tôt, j’imagine que c’est un truc de mimétisme en regardant des concerts. Je suis attiré par tous types de percussions depuis toujours. Je n’ai clairement jamais choisi ça. Après il y a beaucoup d’instruments qui m’attirent, mais la batterie, les percussions, c’est vraiment à part.  

Quel est l’impact de la crise sanitaire sur tes projets ?  

Honnêtement ça met pas mal tout à plat. J’ai de la chance parce qu’avec un des groupes de jazz avec lequel je travaille, on était dans un dispositif d’émergence qui nous a beaucoup soutenu économiquement et administrativement. J’ai eu aussi de la chance parce que mes projets étaient structurés, donc on a pu solliciter parfois le dispositif d’activité partielle étendue à nos secteurs. Donc on est là à attendre que ça reparte, on est prêt, on répète, on crée.  
Avec Nefertiti, on est en train de sortir un troisième album, et quand on contacte les labels français et européens spécialisés en jazz, ils nous répondent : « C’est super, mais là on ne sait pas trop ce qui va nous arriver ». Donc, on se rend compte que la crise aura un impact énorme aussi après, on se rendra compte de l’étendue des dégâts dans un second temps. Ça va être à retardement, quand tout va rouvrir on va se rendre compte des salles, des festivals, des associations qui ne rouvriront pas, et ça risque de faire un peu mal. 
Avec notre musique de niche comme le jazz où on joue souvent devant 50 personnes, on a pu rejouer entre les deux confinements. On n’est pas comme les rockeurs qui jouent dans des salles, voire des stades avec de grosses jauges. On sera aussi sûrement parmi les premiers à remonter sur scène, de par nos petites jauges et le peu de médiatisation. Mais les gens sont fatigués, je me méfie, j’ai peur que l’impact soit grand et qu’on s’en rende compte un peu trop tardivement.  
Dans la musique, on s’est rendu compte qu’il n’y avait pas beaucoup d’événements autonomes. Il faudra probablement qu’on développe de nouveaux modèles plus indépendants, peut-être aussi plus locaux, qu’on construise des communautés qui fassent qu’on ait des microcosmes locaux qui permettent de garder un écosystème culturel malgré une crise de cette ampleur.  

Quel conseil tu donnerais à un.e jeune satisien.ne qui sort de l’école en musique à l’image ? 

Il faut embrayer direct ! Je crois qu’il faut absolument pratiquer, quoi qu’il arrive. On est dans des métiers de pratique. Sauter sur la première occasion même si ce n’est pas idéal niveau financier. Au début, il faut vraiment être actif. Donc même s’il n’y a pas de boulot, en musique par exemple c’est assez simple maintenant de prendre une séquence, une bande annonce, et d’en refaire la musique. C’est important d’être dans une dynamique d’action, et d’acquérir des réflexes, les études ne les donnent pas réellement, c’est vraiment la pratique qui amène tout ça. On peaufine ses banques de sons, ses templates, ses compos, la maîtrise des outils informatiques. A mon avis, c’est la clé.  

Tu as un souvenir de Satis à nous raconter ?  

Franchement, comme ça, là je n’ai pas d’idées (rires), il y en a trop. Le petit pastis en promo sur la place, ça quand même…! En fait j’ai que des bons souvenirs, c’était vraiment trois années exceptionnelles pour moi, riches en enseignements et en rencontres humaines. Ce qui est génial aussi, c’est que tu peux contacter des gens qui sont très difficilement approchables hors études. Pour mon mémoire sur le silence j’avais contacté André Rigaut, un grand chef op son, qui a fait les films de Lars Von Trier entre autres. On a eu une relation épistolaire incroyable et extrêmement enrichissante, et ça c’est parce que j’étais étudiant et que j’arrivais avec un sujet de mémoire qui l’intéressait, ça aussi c’est un beau moment.  

En section musique à l’image, vous avez monté une page Facebook. Tu peux nous en parler ?  

C’est assez récent. L’idée de la page, c’était de se présenter, de se faire passer des infos, des ressources, des offres d’emplois. C’est comme une branche indépendante de SATIS Alumni. Il y a aussi l’idée de faire avancer la section musique à l’image, en faisant des retours d’expérience pour aider Satis à développer la section et faciliter ensuite l’insertion professionnelle. 

Entretien réalisé par Bruno Mathé en mars 2021.