L’association Satis Alumni met en lumière les parcours riches et éclectiques des anciens étudiants du SATIS. Juliette Guerin (promotion 2007-2010), depuis Montréal où elle est installée en tant que réalisatrice et monteuse, s’est prêtée au jeu de l’entretien.

Bonjour Juliette, en quelle année es-tu sortie du SATIS ?  
J’ai étudié en montage et je suis sortie du Satis en 2010.

Où avais-tu étudié avant le SATIS ?
J’ai fait un IUT Service et réseau de Communication, puis une licence Info Com et j’ai ensuite intégrée le Satis en licence.

Tu t’es expatriée au Québec, plus particulièrement à Montréal, depuis 2010. Pourquoi cette destination ?
À la base, je ne voulais pas aller à Paris, comme beaucoup d’autres français qui atterrissent au Québec, en tout cas dans l’audiovisuel. (rires) Pour bosser en montage, c’était à Paris qu’il fallait aller et je n’en avais pas très envie. Et un ami, qui avait déjà été au Québec, m’en parlait tout le temps en disant que c’était merveilleux, etc. En 2010, c’était encore facile d’obtenir un permis de travail temporaire, le PVT (Permis Vacances Travail). Alors on s’est dit qu’on allait venir un an, pour voir. Et je suis là depuis dix ans  !

Peux-tu nous parler de ton parcours professionnel ?
Quand je suis arrivée, j’ai fait des petits boulots n’ayant rien à voir avec l’audiovisuel, pendant environ 1 an. Ensuite j’ai été assistante monteuse dans une petite boite qui réalisait des films institutionnels, et aussi un peu de tout : publicités, documentaires et fictions à petit budget. Rapidement, ils m’ont fait confiance et m’ont demandé de monter des projets. Je suis restée 4 ans chez eux, le temps d’avoir mon visa « Résidence Permanente ». Parce que pendant ces quatre années, je travaillais avec le visa « Jeune Professionnel », qui est attaché à un employeur unique, donc je ne pouvais pas changer de boulot… J’avais des offres, mais je ne pouvais pas les prendre, c’était frustrant.
En parallèle, pour rencontrer plus de monde, car dans cette structure nous n’étions que 4 – 5 employés, j’ai participé à des Kino. J’y ai rencontré beaucoup de gens, j’ai monté leurs films et par la suite, ils m’ont recontacté pour d’autres projets. Après ces premières expériences, j’ai été rapidement monteuse pour la télévision, notamment sur des séries documentaires puis pour des émissions de télé-réalité. Je continue à en monter, parce que ça m’amuse. En 2020, j’ai monté mon premier long-métrage documentaire, « Champion » de Helgi Piccinin.

Juliette contemplant la timeline bien chargée du documentaire “Champions”

J’ai un parcours éclectique et mouvant. Je voulais essayer plein de choses pour savoir ce qui me convenait. J’ai monté une série fiction, de la pub, du clip… Pour me rendre compte que ce que j’aimais le plus, c’était monter du documentaire. Et pour ne pas travailler que sur des sujets pesants, j’alterne avec de la télé-réalité, pour m’amuser et travailler sur des sujets plus légers. Depuis deux ans, j’ai trouvé cet équilibre, et cela me convient.

Sous quel statut es-tu employée ?
Je suis pigiste. Il n’y a pas le statut d’intermittent au Québec. Je fais partie du syndicat AQTIS (Alliance québécoise des techniciens et techniciennes de l’image et du son) depuis peu. Il faut justifier d’un certain nombre d’heures pour pouvoir intégrer ce syndicat, qui ensuite permet d’accéder à une assurance chômage. Ainsi si je n’ai pas de travail entre deux productions, je pourrai avoir du chômage. Mais depuis 5 ans que je travaille comme pigiste, je n’ai jamais cherché du travail. On m’a toujours appelé et j’ai toujours travaillé. Il y a une forte demande en montage, et encore plus pour les assistants monteurs.

Quel est le sujet de « Champions » ?
C’est l’histoire de deux jeunes athlètes, un autiste et une jeune femme déficiente intellectuelle, qui se préparent aux Jeux olympiques spéciaux. On les suit de leur préparation jusqu’à leur participation aux compétitions, qui ont eu lieu à Dubaï. Il était censé sortir au cinéma, mais à cause de la pandémie, il est sorti directement sur une plateforme de SVOD. J’espère que le film sortira en France, le réalisateur est franco-canadien.

Visionnez la bande-annonce de “Champions” de Helgi Piccinin

Qu’est-ce que le mouvement Kino ?

Kino a été créé en 1999 à Montréal par des étudiants et jeunes professionnels qui ne trouvaient pas d’argent pour réaliser leurs films. Alors ils ont décidé, pendant un an, de réaliser un film par mois et de le projeter dans un bar. À l’époque, c’était de la VHS ! Le mouvement a pris de l’ampleur, de plus en plus de monde a participé, des « cellules » se sont ouvertes un peu partout dans le monde… Il y a les soirées, où l’on vient présenter un film réalisé dans le mois suivant le thème. Puis les Kino Kabaret, une fois par an, qui s’étalent sur deux semaines. C’est comme un gros laboratoire, tous les participants sont sur place. Soit ils préparent leurs films, soit ils chillent au bar, j’aime beaucoup cette ambiance. On a trois jours pour faire un film : tourner, monter, mixer, étalonner. On peut arriver avec un scénario déjà écrit, mais le film doit être fait en 3 jours.

L’idée, c’est que tout le monde peut réaliser. C’est un bon moyen de tester des idées, d’essayer, de rencontrer du monde… Il y a beaucoup d’entraide. J’ai commencé la réalisation grâce à ces sessions Kino. Ça me tentait et je me suis lancé, j’ai réalisé quelques Kino dont un documentaire qui a tourné ensuite en Festival : « Conversation avec Ziad ».

De quoi parle ce court métrage ?
C’est un film que j’ai fait en 2016, durant le Kino Cabaret de Montréal. Cet événement a tellement de succès que pour y réaliser un film, il faut être présélectionné, et je l’ai été. Il y avait des thématiques, notamment la force de l’image, et ça m’a inspiré, car je voulais réaliser un film sur la Syrie. J’avais vu quelque temps avant un film sur ce sujet qui m’avait bouleversé. J’ai cherché des Syriens prêts à témoigner, et à Montréal c’était facile, car il y avait beaucoup de réfugiés qui étaient arrivés quelques mois avant en ville. Je suis allée à une exposition de photo sur la Syrie, dans le quartier où habitent de nombreux réfugiés syriens, et à un moment Ziad a pris la parole, il était photographe. Je lui ai demandé si ça le tentait de témoigner et il a répondu oui.

Un mois plus tard, on tournait. On ne voit jamais Ziad parler face caméra. Je montais beaucoup de sujets télé à l’époque, face caméra, et j’en avais marre. J’ai trouvé sur Viméo des images de courts métrages sur la Syrie, j’ai demandé l’autorisation aux réalisateurs de les utiliser et je les ai projetés sur un écran. Et l’entrevue a juste été enregistrée au son, en regardant les images. On regardait les images et on enregistrait les réactions de Ziad, et on a monté ces réactions sur les images. Le film a bien marché au Kino, les gens ont été touché et m’en ont parlé pendant longtemps. Il faut dire que le témoignage de Ziad était touchant. Puis c’est rare de voir un documentaire, qui plus est engagé, dans les projections Kino. J’ai envoyé le film en festival, et il a été sélectionné à Hot Docs, à Toronto, l’un des plus importants festivals de documentaire en Amérique du Nord ! C’était une expérience folle, je suis allée deux semaines à Toronto, vu plein de films, projeté mon film dans une salle de multiplex remplie, répondu aux questions en anglais… J’ai pu aller à un festival de court métrage très réputé au Québec, le Festival Regard, dans la région du Saguenay. Bref, ce petit film a bien voyagé !

Visionnez le court métrage “Conversation avec Ziad” en entier (source : Viméo de Juliette Guerin)

Quelles sont les différences professionnelles majeures entre la France et le Québec ?
Je ne pourrai pas vraiment répondre parce que je n’ai jamais travaillé en France. J’ai juste fait des stages, notamment à France 3 Marseille. J’ai passé ma soutenance et deux jours après, j’étais dans l’avion pour Montréal. Par contre, je suis persuadé qu’en France, je n’aurai pas été monteuse aussi rapidement. Je serai restée assistante bien plus longtemps. Ici, les gens te donnent ta chance. Ils ne regardent pas le CV, ils ne connaissent pas Satis ! Il y a de bonnes écoles de cinéma au Québec, mais en vrai ce qui comptent, c’est les expériences. J’envoie très rarement des CVs, on m’appelle sur recommandation et puis on embarque sur le projet…

Juliette lors de la présentation de “Conversation avec Ziad” au festival Hotdocs 2017

Qu’est ce que tu conseillerais à un.e jeune satisien.ne souhaitant immigrer à Montréal  ?

Déjà, d’être patient avec les services de l’immigration. (rires) Aller au Kino pour rencontrer des gens et construire un réseau. Contacter les anciens étudiants, même si ici, les stages ne sont pas très courants. Pour les monteurs, ils cherchent des assistants monteurs à la pelle ! Parfois, la veille du début du projet, les producteurs n’ont pas encore trouvé, donc il y a des places à prendre. Par contre, il y a un petit choc culturel. On n’utilise pas le même vocabulaire technique, la culture d’entreprise est différente aussi. Au Québec, la confrontation est moins courante qu’en France. 

Et avec le mouvement MeToo, les choses ont évolué dans le bon sens. Certaines choses ne se font plus, au niveau de la manière de travailler, des agressions verbales, etc. Il y a eu une importante évolution des comportements ces dix dernières années. Il y a moins une « loi du silence » qu’en France. Sur ce point-là, le Québec est bien plus en avance, comme sur le féminisme, la place des femmes dans la société, etc. C’est cool d’être une femme au Québec ! L’environnement de travail est bien plus respectueux des personnes.

Quel impact a eu l’épidémie de Covid-19 sur l’audiovisuel québécois ? Pour tes projets professionnels ?
En tant que monteuse, j’ai de la chance, car même si on filme avec Zoom, il y a toujours besoin de montage. On n’a pas trop souffert du manque de travail. Je n’ai pas travaillé de mars à juin, comme tout le monde. Le Gouvernement Fédéral a mis la main à la poche très rapidement, et on a eu accès à une aide d’urgence dès la fin mars. J’ai repris en juin sur un montage à partir de vidéos prises sur Zoom. Il y a un contrat en télé-réalité qui a été décalé. Les autres projets prévus ont été maintenus. Mais pour 2021, mon agenda est déjà rempli !

Est-ce que tu as un souvenir particulier de tes années d’étude au Satis que tu souhaites partager avec nous ?
Marseille, c’était bien d’y habiter pendant mes études, et il fait beau ! Sinon au Satis, je me suis fait d’excellents amis, avec qui j’ai gardé contact malgré la distance. Si j’étais restée en France, je suis pas mal sûr que j’aurai travaillé avec eux. Les études permettent de te créer ce réseau de contacts. Quand j’ai participé au Kino Cabaret de Genève (Suisse), j’ai appelé un ami rencontré au Satis et originaire de Haute-Savoie. Il est directeur de la photo à Paris, et il m’a de suite dit oui, puis il a fait l’image pour mon film « Le Blues du Punk ». C’était improbable de se retrouver sur ce projet, 7 ans après la fin de nos études !

Entretien réalisé par Clément Allemand via Skype en décembre 2020