Eline Le Fur (2001-2004) est scénariste pour la télévision, notamment pour des séries quotidiennes. Échange autour d’un métier essentiel mais encore trop peu considéré dans le milieu de l’audiovisuel.

Bonjour Eline, en quelle année es-tu sortie du SATIS ? En quelle option ? 

Je suis sorti en 2004 et j’étais en option réalisation, qui n’existe plus de nos jours. 

Où avais-tu étudié avant le SATIS ?

J’ai suivi un DEUG Arts, Communication et Langage à Nice. C’était une formation orientée sur l’histoire de l’art et de la communication. 

Au Satis, il n’y a pas d’option « scénario ». Les bases de d’écriture scénaristiques sont abordées, chaque étudiant écrit au moins une fois, un scénario dans son cursus. Qu’est-ce que cet enseignement t’a apporté ? L’as-tu complété par une formation ?  

Quand je suis arrivée à l’école, l’option scénario venait d’être arrêtée. Il n’y avait pas de cours de scénario, et d’ailleurs je ne voulais pas être scénariste en sortant de l’école, je cherchais plutôt à être monteuse. J’ai cherché des stages dans cette branche là, mais par hasard, j’ai trouvé un stage de lecture de scénario dans une grande boite de production, Telfrance. D’ailleurs, c’est un ancien étudiant qui m’avait informé de ce stage. C’est là que j’ai découvert le monde du scénario. Ensuite, j’ai été coordinatrice d’écriture pour la série Plus Belle la Vie, quasiment au début puisque je suis arrivé à la deuxième saison. C’est un poste à cheval entre l’assistanat de production et la direction littéraire. Je m’occupais des auteurs, de leur planning, de la relecture des scénarios ainsi que des parties administratives et juridiques. Je m’occupais de tout ce qui avait trait au pool d’auteurs, qui était assez conséquent. Ce passage comme coordinatrice m’a permis de devenir auteure, puisque par la suite, le directeur d’écriture m’a proposé d’écrire pour la série. 

Beaucoup de métiers du cinéma implique un passage obligé par l’assistanat. Est-ce que le coordinateur d’écriture peut être considéré comme un assistant-scénariste ?

Effectivement, c’est ce qu’il y a de plus proche d’un assistant-scénariste. C’est un poste souvent assuré par des jeunes, qui deviennent ensuite scénaristes. C’est une bonne manière de rentrer dans le métier. Mais les places sont chères, car ce poste n’existe quasiment que sur les séries quotidiennes, du moins que je sache. 

Dans la bibliothèque du scénariste…

En quoi consiste le métier de scénariste ? 

Écrire ! Beaucoup ! Et réécrire beaucoup, aussi… Essayer, jusqu’à ce que ça marche. La France ne produit pas énormément de séries, même si les choses changent, et il y a encore beaucoup de séries à l’ancienne. Je caricature un peu, surtout que les nouvelles plateformes refaçonnent le boulot. Il y a de plus en plus de nouveaux scénaristes qui arrivent, de plus en plus jeunes, et ils parviennent à imposer des projets, ce qui n’était pas le cas avant. Soit on est porteur d’un projet qu’on essaie de vendre, soit on intègre une série existante, où l’on nous confie l’écriture d’un épisode. Il y a beaucoup de cas de figure, par exemple c’est encore différent pour l’animation. Ou pour les séries quotidiennes, puisque les auteurs y restent longtemps. Sinon les auteurs ont tendance à jongler en permanence avec les projets. Il n’est pas rare de travailler sur un unitaire de commande, tout en travaillant sur deux-trois projets originaux.

Comment arrives-tu sur un projet ? Par le producteur ? Par le réalisateur ? 

J’ai un agent, comme beaucoup d’auteurs. Sinon je trouve des projets par le réseau, tout simplement. Ça joue énormément. Les différentes bourses d’écriture, comme celles du CNC ou de l’association Beaumarchais, ou les concours de scénario sont des occasions d’être mis en valeur et d’être contacté par des producteurs. Il y a aussi le démarchage sauvage, c’est-à-dire envoyer directement le projet à une société de production.

Tu as toi-même suivi une formation. 

Oui, c’était à mes débuts d’auteur à Plus Belle la vie. J’ai débuté en rédigeant les séquenciers. Puis le directeur d’écriture m’a conseillé d’aller faire une formation pour mieux revenir ensuite. J’ai choisi une formation du Conservatoire Européen d’Écriture Audiovisuelle, appelée à l’époque « écrire pour le 52 minutes », qui apprend à construire une bible de série et un projet de série, et qui pose les bases de la structure d’un épisode. C’était très intéressant, j’ai rencontré plein de gens avec qui j’ai bossé ensuite. Les professeurs sont souvent des scénaristes actifs. Après cette formation, j’ai fait du développement, et je suis revenu à Plus belle la vie dans l’atelier dialogue. 

Qu’est-ce qu’une bible ?

C’est ce qui présente la série, son concept, ses principaux personnages, et les histoires qu’elle va raconter. Cela dépend du type de série, puisqu’une bible de série quotidienne ne va évidemment pas contenir toutes les arches narratives sur 15 ans… L’auteur l’adapte selon le type de projet. Les bibles de quotidiennes sont généralement épaisses, puisqu’il y a un maximum de personnages, de décors, de mini-histoire. Mais j’ai déjà rédigé des propositions de projets avec des bibles de quinze pages. 

Comment vient l’inspiration ?

Bonne question ! Tout le monde a son type d’inspiration. Il y a différents types de scénaristes. Certains ont beaucoup d’idées, tout le temps. Certains arrivent à écrire seuls, et d’autres non. C’est mon cas, j’ai besoin de quelqu’un pour échanger. L’inspiration, personnellement ça a toujours été très laborieux… J’ai tendance à ne pas être sûre de mes idées, à avoir besoin de validation. Je pense qu’il faut écrire au maximum. Dès qu’on a envie d’écrire quelque chose, il faut l’écrire, le présenter, avoir des retours, même mauvais, écrire et recommencer tout le temps. Et petit à petit, on prend confiance et on a de plus en plus d’inspiration. C’est un muscle à travailler. 

Est-ce qu’il faut un socle littéraire de base ?

Au contraire, ce qui est très enrichissant, c’est que chacun vient avec sa culture à lui, ses références. C’est l’intérêt et la diversité des projets. C’est préférable d’avoir une bonne culture générale de la fiction cinéma et série, parce que c’est une bonne manière d’échanger avec les autres. On cite tout le temps des références, il faut avoir cette connaissance commune avec les interlocuteurs et les producteurs. Sinon il faut s’intéresser, tout regarder : ce qui est bien, ce qui est moins bien. Parce que c’est important de sentir l’air du temps. Ça montre ce que les chaînes et les producteurs recherchent.

Comment s’écrit un épisode de série quotidienne ?

À priori, toutes les séries quotidiennes s’écrivent de la même manière, à quelques subtilités près. La base du travail, ce sont les arches narratives. Dans des documents d’une à dix pages, on y raconte les grandes histoires de la série. Pour donner un ordre d’idée, une arche principale (A) de la série Un Si Grand Soleil dure environ un mois, il y en a donc environ douze par an. En parallèle, il y a des arches narratives plus petites, intitulées arche B ou C. Ces idées d’arches sont fournies bien en amont à la chaîne. Une fois validée, l’arche est lancée en écriture.
Durant l’écriture, il y a deux ateliers : séquencier et dialogue. Dans l’atelier séquencier, qui dure une semaine, cinq auteurs vont écrire, à partir des arches, cinq épisodes découpés en séquence. Ils écrivent ensemble, « à dix mains », ils se partagent les histoires : un groupe écrit l’arche A, l’autre l’arche B, etc. Et à la fin, on mélange le tout. Cette version 1 fait l’objet de retour de la part de la chaîne et des équipes de tournage, une fois modifiée, cela donne une version 2. Cette « V2 » est transmise aux auteurs de l’atelier dialogue. De la même manière, cinq auteurs s’en emparent et ont une semaine pour rendre la version dialoguée des épisodes. Ces versions sont lissées par les responsables de l’atelier dialogue, puis la version définitive est finalisée avec les équipes de production et de tournage. Cette version définitive sert à la préparation du tournage. 

Qu’est-ce que les plateformes (Netflix, Amazon, etc.) apportent de nouveau pour un scénariste ?

De l’espoir. On a eu l’impression de pouvoir faire plus de projets, plus variés. On voit des nouvelles séries portées par des jeunes, ce qui n’était pas fréquent avant. Il y a aussi une méfiance autour de ces plateformes parce qu’elles ne paient pas forcément très bien ; que les droits d’auteurs sont très différents de la télé. Il faut savoir qu’un auteur est payé en deux fois : une fois via les droits d’auteur payés par la production, et une fois en droits de diffusion, payés par la chaîne de TV. Or la SACD (NDLR : La Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques s’occupe de reverser les droits de diffusion aux auteurs) et des organisations d’auteurs bataillent actuellement avec Netflix, Amazon, etc; pour qu’ils versent plus d’argent aux auteurs. C’est le début, les quelques séries françaises produites par Netflix ne sont pas très convaincantes (mais je n’ai pas encore vu Lupin, qui fait quand même un sacré carton). Mais j’entends parler de plus en plus de projets en développement, sur plein de plateformes, comme Disney +, quelque chose va arriver. OCS produit des choses bien, mais sans beaucoup d’argent. Des rumeurs disent qu’Amazon lance des projets intéressants. 

Les scénaristes n’ont pas le statut d’intermittent du spectacle. Comment est rémunéré un scénariste ?

Avec des compliments. (rires) Plus sérieusement, on est rémunéré en droits d’auteur. Pour chaque projet, on signe un contrat dans lequel il est établi combien d’argent on touchera, selon quelles échéances et quel type de rendu. Chaque contrat est associé à une œuvre, ce n’est pas en lien avec le nombre d’heures travaillées, ni au mois, c’est “à l’œuvre”. Une fois que ce contrat est fait, il peut donner lieu (ou pas) à d’autres contrats. Par exemple, si j’ai écrit une bible qui a plu à un producteur, il me fait signer une option sur ce contrat, qu’on appelle un contrat d’option. Ce qui va lui laisser un certain temps pour travailler avec moi (18 mois, un an, etc.) Derrière, s’il me demande de développer une bible ou un synopsis, il faudra me refaire un contrat. À chaque fois, il faut négocier, il y a des barèmes, c’est pour cela que c’est bien d’avoir un agent. Enfin, si le scénario est tourné et diffusé, on touche les droits de diffusion qui varie selon la chaîne, l’horaire de diffusion, le nombre de diffusion et de rediffusion.
C’est un métier précaire, où l’on peut se retrouver très vite sans revenus. On est dans une période particulière où plein de projets se sont arrêtés. Mais même en période normale, le scénariste est dans une incertitude permanente. Il n’a pas de droit au chômage, pas de congés payés. Il peut très bien signer une option avec un producteur ultra enthousiaste et se dire que six mois plus tard, sa série sera diffusée… Puis le truc s’arrête en plein milieu, parce que la chaîne ne suit pas ou un autre projet qui y ressemble est mis en production au même moment. Il n’y a aucune sécurité de l’emploi, et souvent un auteur débutant arrive à décrocher quelques options par-ci par-là, donc quelques milliers d’euros par-ci par-là. Il ne génère pas encore de droit de diffusion, c’est dur de tenir juste avec ça. On est aussi parfois confrontés à ce qu’il faut bien appeler de la malhonnêteté : producteurs qui paient des tarifs indignes, voire qui ne paient pas du tout, réalisateurs ou ayant-droits essayant de s’accaparer tous les droits de diffusion, etc. Personnellement je n’ai jamais eu de gros souci jusqu’ici, mais j’entends souvent autour de moi des auteurs se plaindre qu’ils doivent relancer 20 fois un prod pour être payés, qu’on fait traîner leur contrat… On est une profession très peu protégée.

À ce propos, as-tu entendu parler de la page Facebook « Paroles de scénaristes », créée par des scénaristes fin 2020 ? Elle a « pour but de pointer l’omerta régnant au sein du secteur, et des discriminations et abus que peuvent subir ces professionnels. »

Je trouve que c’est une très bonne initiative. J’ai lu quelques témoignages qui m’ont atterrée, mais ne m’ont pas surpris… Je suis tout à fait d’accord avec eux : nous sommes mal considérés. On passe après le réalisateur, qui est très souvent présenté, notamment dans les médias, comme l’auteur de l’œuvre. On ne parle pas du scénariste. On voudrait appliquer le modèle anglo-saxon, avec un showrunner. Leurs séries sont des séries de scénaristes. Le showrunner choisit les comédiens, il a une vraie paternité artistique du début à la fin. J’écris beaucoup de commandes, donc ce n’est jamais un gros déchirement. Souvent, j’ai dû laisser ce que j’ai écrit à un réalisateur sans avoir aucun échange avec lui par la suite. Ce qui en ressort, ça devient presque un cadavre exquis ! Ce n’est pas normal, ça empêche la cohérence et la réussite des projets. Les projets sortent et sont le fruit de plusieurs visions non concertées, de compromis mal foutu, donc le résultat n’est pas génial.  

Où travaille un scénariste ?

Généralement, on travaille chez soi. Tout le monde a ses habitudes. Quand on travaille en atelier, on se retrouve dans des bureaux. Mais toute la partie rédaction se fait de manière isolée, on a tendance à rentrer chez soi pour rédiger. On se voit pour échanger, trouver des idées, pour discuter, et on rentre chez nous pour rédiger. 

Qu’est ce que tu conseillerais à un(e) jeune satisien (ne) voulant devenir scénariste ?

Je lui conseillerai de se faire un réseau chez les scénaristes. Satis c’est une bonne base pour apprendre pleins de choses, mais il faut une formation spécialisée : CEEA, Fémis, INA… Se faire un supplément de formation ; ensuite, écrire, proposer des projets, postuler à des bourses d’écriture, rentrer dans une dynamique de travail intensif. Il faut trouver des gens pour rentrer dans ce milieu là. C’est très dur de rentrer tout seul. D’où l’importance de se faire un groupe d’ami. 

Quel impact a eu l’épidémie de Covid-19 sur ton travail ?

Je ne participais pas à l’écriture de la série Un si grand soleil lors du début de l’épidémie. Je n’ai donc pas eu à vivre en direct les remaniements des méthodes de travail. Apparemment, ça a été compliqué, car les auteurs ont l’habitude de se voir en atelier trois fois par semaine. C’était des moments agréables, mais tout a changé du jour au lendemain, puisque les réunions ont migré vers Zoom. C’est comme tout le reste : on a perdu tout le plaisir des choses. C’est aussi plus laborieux et plus fatigant. Je n’ai pas été impacté, mais je sais que beaucoup de projets ont été retardés, beaucoup de personnes se sont retrouvées dans le pétrin.

Tu penses que tout le monde est dans l’attente du redémarrage ?

Oui. Ça a permis de prendre un recul nécessaire sur ce qu’on fait. Ça a peut-être donné des idées aux producteurs et aux auteurs. J’ai fait un peu de développement, c’était agréable, car il n’y avait pas le stress habituel. Les producteurs étaient plus curieux et ouverts à ce qu’on leur proposait. Entre guillemets, le bon côté des choses, c’est peut-être que les producteurs ont lancé plus de développement ? Peut-être vont-ils donner leurs chances à de jeunes auteurs ? De toute façon, ils ne peuvent pas tourner, alors autant se constituer un portefeuille de projets “prêt-à-développer” aux moments où les affaires reprendront…

Est-ce que tu as un souvenir particulier de tes années d’étude au Satis que tu souhaites partager avec nous ?

Je me souviens que les études étaient très ludiques. Un des moments les plus forts, c’était les stages de réalisation avec Robert Weiss. Il nous donnait des caméras et nous laissait faire des exercices. C’était vraiment super marrant, il y a plein de choses totalement baroques sont sorties de ces stages. C’était génial, on n’avait aucun filtre, on faisait vraiment n’importe quoi, mais on apprenait des choses évidemment. 

Entretien réalisé par Zoom par Clément Allemand en janvier 2021.