Coline Gros n’est restée que l’année de Licence 3 au Satis, ce qui ne l’a pas empêché d’apprendre pleins de choses, de garder le contact avec ses anciens camarades et d’entamer une très belle carrière de réalisatrice.

En quelle année tu es sortie du Satis et dans quelle section tu étais ?

J’ai fini mes études en 2010. Je n’ai fait qu’une année à SATIS, la licence, et j’étais en option montage. 

Pourquoi tu as arrêté Satis ?

J’avais déjà fait quatre ans d’études avant d’entrer à SATIS, et je commençais à vraiment avoir hâte d’entrer dans le monde professionnel. J’avais en tête de ne faire qu’une année quand je suis rentrée à SATIS, mais ce que j’ai beaucoup aimé, c’est que la première année, on découvre tous les métiers de l’audiovisuel on n’est pas cantonné à notre option, et ça m’a beaucoup appris.

C’était quoi ton parcours avant SATIS ?

J’ai fait un BTS audiovisuel public à Roubaix option montage, et avant ça j’avais fait deux années de faculté en Médiation Culturelle et Communication à Avignon. 

Après Satis, quel était ton projet ? 

J’avais fait un stage en fin de première année pour une boîte de production qui s’appelait Tourné Monté, qui n’existe plus aujourd’hui. Cette société travaillait pour AP (Associated Press) et l’AFP (Agence France Presse), et ils m’ont donné du travail en tant que monteuse, mais aussi en cadrage et en journalisme. C’était assez varié, et comme ils avaient souvent besoin de moi, je suis devenue intermittente très vite comme ça.
Après un an, je suis partie à Londres (pour suivre mon copain), et au bout d’une année à nouveau, je me suis installée à Paris. Je croyais que ça serait là que je pourrais le plus m’épanouir professionnellement, sachant que j’avais en tête de revenir à Marseille après. 

Sur quels projets as-tu travaillé à Paris ?

J’ai travaillé avec Universal Music très régulièrement, dans le pôle audiovisuel. Ça consistait majoritairement à cadrer et monter pour des captations de concert, des sessions acoustiques, des interviews de musiciens, et pas mal de brand content avec les artistes de chez Universal Music. En parallèle j’ai beaucoup travaillé pour une série documentaire sur les animaux qui était diffusée sur France 5. On était nombreux, c’était une belle équipe. Je partais une semaine en tournage et je montais pendant deux semaines l’épisode que j’avais tourné. C’était intense et très enrichissant. J’ai aussi travaillé pour des boîtes de production qui faisaient de l’institutionnel, souvent en tant que réalisatrice/cadreuse/monteuse.

En tournage en Irlande.

Tu as réalisé un premier documentaire en 2018, tu peux nous en parler ?

Quand je travaillais chez Universal Music, on m’a proposé de partir quelques jours dans la Drôme pour faire un reportage sur une classe parrainée par l’association Orchestre à l’École. Ce sont des enfants en difficulté qui font de la musique en orchestre pour apprendre les valeurs de travail en collectif, de partage, d’écoute, et de respect. J’ai adoré réaliser ce reportage, les enfants se sont facilement confiés à moi, me livraient des sentiments forts. Et puis j’ai appris que l’association allait faire un grand projet : Etienne Perruchon, connu principalement pour ses musiques de film, avait composé une partition sur mesure pour deux classes d’Orchestre à l’École. Les enfants allaient alors s’entraîner pendant une année à jouer la partition jusqu’au concert qui allait avoir lieu à Paris à La Maison de la radio accompagnés par l’Orchestre Philharmonique de Radio France. C’était l’occasion rêvée, il fallait faire quelque chose.

J’en ai parlé à Universal Music, le projet leur a plu, ils m’ont donné carte blanche en tant que réalisatrice. J’étais accompagnée d’un chef op et d’un ingénieur du son, on avait du bon matériel, c’était des super conditions. Sauf qu’au bout d’un moment, la productrice, qui était habituée à vendre des projets de divertissement plutôt que des documentaires de société, a préféré stopper le financement. La difficulté, c’est que le film était encore en tournage, alors je suis allée voir une autre société de production à Paris, avec qui ça été aussi compliqué. J’ai donc décidé d’aller voir une boîte de production que je connaissais bien à Montélimar, Voir Media Production. Ils m’ont aidé, avec Orchestre à l’École, à financer la fin du tournage et toute la post-production avec l’aide d’une campagne de financement participatif. Eux ont réussi à le vendre à Canal + Family une fois que le film était fini, ce qui était très chouette puisque Canal+ l’a pris sans demander aucune retouche. J’ai d’ailleurs appris récemment que Canal+ venait de racheter les droits de diffusion pour deux années supplémentaires.

Le premier film de Coline, “Dinoura”, est disponible sur le site de MyCanal.

Tu as réalisé un autre documentaire plus récemment, ça c’est passé comment ?

Le film que j’ai fait sur l’ Orchestre à l’École a eu un bon accueil et ça m’a beaucoup aidé pour contacter des producteurs pour un nouveau projet. J’avais une idée de documentaire sur des adolescents des quartiers Sud d’Avignon qui devaient faire une tournée théâtrale. J’ai contacté une société qui s’appelle 13 Productions, à Marseille, pour leur proposer le projet. Ils étaient intéressés mais la tournée était en stand-by, et finalement c’est eux qui m’ont proposé un projet : l’amour chez les seniors, pour France 3 PACA. Ça a commencé comme ça.

Comment tu as écris ce projet vu que, contrairement à ton premier film, ce n’était pas  directement ton idée ? 

Je ne suis pas très douée pour l’écriture des dossiers, donc j’ai commencé avant tout à chercher des personnages. Et pour écrire le film, je suis allée faire une résidence d’écriture, au centre de formation Terkane, à Saint Raphaël (83). C’est un réalisateur de documentaires que j’adore, Jean-Pierre Lenoir, qui a parrainé mon projet et qui m’a bien aidé à structurer le projet, à me poser les bonnes questions sur le fond et la forme pour imaginer le film. Pour mon premier documentaire, je n’avais pas eu besoin de monter un dossier, j’avais filmé ce qu’il se passait et j’avais écrit le film en salle de montage. Sur ce nouveau projet, j’ai posé toutes les problématiques sur papier, tant sur le fond que sur la forme : est-ce que je veux filmer sur pied ou caméra à l’épaule, en lumière naturelle ou artificielle, est-ce que je veux faire les interviews face caméra, qu’est-ce que je demande aux personnages et pourquoi, etc. 

En sortant de la résidence, on est allé avec Cyrille Perez voir Jacques Paté chez France 3 Marseille. Le projet lui a plu, et 13 productions m’a laissé carte blanche pour le réaliser. C’était très important pour moi de sentir qu’une boîte de production me faisait confiance alors que je n’avais réalisé qu’un premier documentaire avant ça. Tout a été très fluide, autant pour le tournage que la post-prod. 

Et tu as obtenu ce que tu avais imaginé ?

Pas du tout (rires). Je voulais faire un film très dynamique. Comme c’était un projet sur des personnes âgées, ça m’intéressait de contraster avec une caméra en mouvement, et en fait je n’ai pas du tout fait ça. Comme c’était mon deuxième film, 13 Productions m’a proposé un cadreur qui avait de l’expérience en documentaire, Romain Fiorucci. Je me suis tout de suite très bien entendue avec lui donc c’est super, sauf que Romain fait beaucoup de photographie, et ça se voit dans sa façon de cadrer : il aime faire des plans fixes sur pied en faisant attention à soigner le cadre. De mon côté j’étais plutôt habituée à faire des vidéos très clippées, toujours en mouvement, avec des longues focales, c’était un défi pour moi d’arriver à faire quelque chose de différent et j’ai trouvé ça très intéressant. Ça m’a appris une autre esthétique et une autre façon de réaliser. J’ai vraiment aimé cet exercice là, ça m’a plu et même si ce n’est pas ce que j’avais imaginé, je suis très contente du résultat. 

Visionner un extrait du film “Le temps d’aimer”

Au montage, tu as travaillé avec un.e monteur.se ou tu as monté seule ? 

J’ai travaillé avec une ancienne monteuse de France 3 Marseille qui s’appelle Véronique Graule. On ne se connaissait pas avant mais ça s’est très bien passé, elle était très à l’écoute, m’a laissé faire le film que je voulais. Elle a eu de super idées quand il fallait, c’était vraiment une belle collaboration. 
Et le film a été monté au Label 42 (studio monté par des anciens de SATIS) et c’était l’endroit  idéal pour travailler. C’était d’ailleurs le premier film produit par France 3 Marseille qui était fait en dehors de France 3. Il y avait un accord avec le Label 42 qui définissait le fait que si un film ne pouvait pas être post-produit à France 3, ça pouvait l’être au Label 42. Toutes les étapes de la post-prod se sont super bien passées. L’ambiance était vraiment bonne. J’ai même eu droit à ma petite bière brassée au Label pendant le montage. On montait le film sur une sorte de mezzanine pendant qu’ils brassaient la bière en dessous, on avait les effluves de bière qui remontaient ! Y a que là bas qu’on peut vivre ça ! 

Comment tu choisis les thématiques de tes films ?

J’aime le cinéma social, la recherche d’émotions, être proche des gens. J’aime beaucoup les portraits. J’adorerai suivre quelqu’un sur plusieurs années, mais c’est difficile à la télévision. Pour ce film sur l’amour chez les séniors, je n’ai eu que huit jours de tournage pour cinq personnages filmés. C’est très dur de tisser un lien de confiance avec les gens en si peu de temps. 

Récemment j’ai beaucoup aimé le film Adolescentes, de Sébastien Lifshitz, qui a eu le César du meilleur documentaire et aussi du meilleur son et du meilleur montage ! Dans la démarche c’est vraiment quelque chose que je trouve génial. Il a filmé deux adolescentes qui sont amies, et vont avoir des parcours différents pour finalement se retrouver à la fin. Il les a filmé pendant cinq ans je crois, de l’âge de 13 ans jusqu’à leur majorité, on voit une véritable transformation de ces deux « personnages », et j’aimerai aller vers ça, aller plus en profondeur. Mais à la télé c’est compliqué de sortir du portrait croisé, qui est un archétype de documentaire TV. 

Quel est l’impact de la crise sanitaire sur tes projets ?

Typiquement, le documentaire sur les séniors, je l’ai tourné entre deux confinements. Donc ça a compliqué un peu certaines scènes. Par exemple, je voulais filmer un couple dans un dancing, il était fermé. Je voulais filmer une croisière Meetic pour seniors, il n’y en avait pas. Mais sinon, les personnages ont joué le jeu en acceptant de ne pas porter le masque, ce qui était possible entre les deux confinements. 
Concernant la télévision, crise sanitaire ou non, les gens sont toujours autant devant leur écran, c’est le secteur du spectacle ou de la culture qui a le plus pâti je pense. 

Quel conseil donnerais-tu à un satisien qui sort de l’école ?

Ne pas vouloir monter à Paris à tout prix comme je l’ai fait, surtout si on a envie de revenir à terme vivre dans le Sud. Il y a beaucoup de choses à faire à Marseille, il y a plein de gens et de projets intéressants. Et puis de créer et garder son réseau d’anciens étudiants, parce que SATIS c’est une école qui est identifiée dans le sud et ça permet aussi de créer du lien avec les personnes qu’on rencontre. C’est tellement important le réseau dans nos métiers qu’il faut se serrer les coudes entre anciens satisiens.

Tu as un souvenir de satis à nous raconter ?

La fiction sonore (rires). Ce n’était pas du tout mon option, mais j’ai adoré faire ça. C’était un des premiers projets, on s’était beaucoup investi, ça avait créé des liens entre nous. Je n’y connaissais vraiment pas grand chose en son mais tout ce que j’ai appris pendant cette fiction sonore me sert encore aujourd’hui en montage ou en réalisation. J’avais adoré faire ça !

Entretien réalisé à distance par Bruno Mathé en avril 2021.